Raphaël Bassan
UN LONG POEME ELEGIAQUE
Flòr da Baixa est un long poème élégiaque. Les espaces, les lieux, les territoires vus (parcourus ? Sentis ?) s’étirent, filent, se voilent, s’éclaircissent, se floutent.
Les regards (combien ? Deux, ceux des protagonistes fantômes ? Trois, cent ? Ceux de tous les spectateursregardeurs, recréateurs de lieux, d’espaces géographiques ou mentaux ?) se muent et mutent en objectifs de caméra et/ou en prolonge-oeil et fenêtres de l’âme.
Ils deviennent aussi la chair des villes crépusculaires parcourues (Lisbonne, Marseille, Rio de Janeiro…), leurs quais, leurs rives; les murs, les rues, les enseignes… Les plans, souvent fluides comme chez Dorsky, sont essentiellement nocturnes, mais ils se tendent par moments et s’éclaircissent, surtout lorsqu’ils sont diurnes : leur rendu alors est plus graphique, presque magrittien.
C’est un journal filmé, le trajet de deux solitudes qui se cherchent, nous précise Santini. Au détour d’une enseigne, on sait que l’on est à Lisbone ou à Marseille. Tout baigne dans le non-dit, le tropmontré ou le non-vu, parce qu’il faut posséder la vue intérieure des clairvoyants pour plonger mentalement, sans appréhension, dans la nudité et la lucidité, du film.
Dire que c’est un chef-d’oeuvre déprécierait ce joyau ; que valent les mots face aux fulgurances que nous propose, ici, l’auteur ? Comme dans toute démarche hautement poétique, l’analogie, les repères qui se distendent, les lieux qui se tricotent empruntent un langage qui parle directement à notre pensée par-delà les idiomes codés (signes écrits ou picturaux). Ici, deux, cent solitudes ; deux, cent interlocuteurs voient, sentent, respirent quatre villes fondues en un même matériau qui génère quelque chose comme une “âme”.
Un film ? Une pensée ? Oui ! Mais, Flòr de Baixa est une expérience dans laquelle tout spectateur, arraché à lui-même, voit flotter son moi dans le tain d’un miroir où le film se difracte en âme-soeur, en âmemonde.
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Pubblicato su ‘Etoilements’, dicembre 2007
maurosantini 